Extrait d’Écouter son cœur

Préface

Il est des romans qui, au-delà de la fiction, rendent hommage à la part la plus lumineuse de l’humanité. Écouter son cœur appartient à cette famille de récits qui rappellent l’intérêt et la force de l’engagement pour relier les êtres, sauver des vies et porter l’espoir plus loin que les frontières.
Sandrine, à travers ce roman, s’inspire des actions des humanitaires dont, entre autres, Aviation Sans Frontières et Mécénat Chirurgie Cardiaque.
Même si les procédures dans la réalité sont toujours plus rigoureuses, complexes, cadrées et normées, ce roman nous plonge dans un univers de solidarité, de reconstruction et d’amour, à la fois familier et profondément humain.
Sandrine nous en donne l’esprit avec pudeur, précision et sensibilité. 
À titre personnel, c’est avec fierté et affection que je préface le premier roman de celle qui a débuté sa carrière sous mon aile à l’Aéro-Club de France et qui a su trouver sa place dans ce monde de passionnés.

Bon vol l’autrice !


Gérard Feldzer 
Président d’Aviation Sans Frontières 
Membre de l’Académie de l’Air et de l’Espace 
Président honoraire de l’Aéro-Club de France

(…)

Chapitre 3

Chez elle

Après avoir quitté l’appartement où elle a vécu avec Paul, Céleste s’est réfugiée chez son amie Diane, une collègue hôtesse de l’air qui partage son temps entre Paris et Nice. Pendant deux semaines, elle occupe le canapé du petit appartement de Diane à Saint-Mandé, tentant de reprendre pied après ce départ précipité.
Les premiers jours, elle a du mal à réaliser qu’elle est enfin libre. Plus d’angoisse à l’idée de rentrer chez elle, plus de tension latente à surveiller le moindre changement d’humeur de Paul. Mais aussi une étrange sensation de vide, un vertige face à l’inconnu.
Diane, sans poser trop de questions, lui offre un havre de paix. Elles partagent des soirées à discuter, à refaire le monde, parfois à rire, parfois à se taire en regardant la ville s’étendre sous leurs yeux depuis le balcon. Mais Céleste sait qu’elle ne peut pas rester indéfiniment. Elle a besoin d’un espace à elle.
C’est en discutant avec un collègue qu’elle apprend l’existence d’un appart’hôtel près de Roissy proposant des tarifs préférentiels pour le personnel navigant. Une solution temporaire, mais qui lui permettra de souffler et de chercher un vrai logement sans précipitation. Avec ses économies, elle peut se permettre d’y rester quelques semaines.
Le studio est impersonnel mais fonctionnel. Un lit, une kitchenette, une salle de bains minimaliste. Suffisant pour poser ses valises et reprendre le contrôle de sa vie. Le matin, elle boit son café face à la fenêtre, regardant les avions atterrir et décoller en supposant les destinations qu’ils rejoignent.
Peu à peu, elle retrouve une routine. Entre ses vols, elle parcourt les annonces, visite des appartements. Et puis, un jour, elle tombe sur cette opportunité : un logement flambant neuf dans le village des athlètes des JO 2024, à Saint-Denis. Le Comité olympique avait en effet prévu dès le départ que les logements construits pour héberger les athlètes perdurent après les Jeux. Ils ont été reconvertis en appartements et mis en vente par les promoteurs immobiliers. Trop cher pour qu’elle puisse l’acheter, mais il y en a quelques-uns en location. Elle n’hésite pas une seconde.
En s’installant ici, elle sait que, plus qu’un simple déménagement, c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre.
Le dernier carton vidé, l’appartement est enfin rangé.
Elle pousse un soupir en passant une main sur sa nuque, fatiguée mais satisfaite. Elle est chez elle maintenant.
L’appartement est baigné d’une lumière douce. Elle s’approche de la baie vitrée et pousse la porte-fenêtre. L’air est frais et vivifiant en ce début du mois de décembre.
De son petit balcon, la vue s’ouvre sur la Seine. Le fleuve s’étire, fluide et silencieux, ses reflets capturant les éclats du jour. Au loin, quelques péniches glissent doucement vers L’Île-Saint-Denis, leurs lumières clignotant comme des promesses de mouvement et d’ailleurs.
Elle s’appuie sur la rambarde, inspirant profondément. Elle regarde au loin où s’étalent le quartier Pleyel et la passerelle le reliant à la Plaine Saint-Denis. À l’horizon se détachent la silhouette imposante de la Cité du cinéma et les contours arrondis du Stade de France et plus loin encore les toits des échoppes des Puces de Saint-Ouen.
Surplombant cette ville animée, elle est sereine. Aucune ombre derrière elle. Plus de pas qu’elle redoute, plus de clés tournant dans la serrure avec une autorité glaciale. Juste le vent sur son visage et l’immensité du ciel.
Un frisson la parcourt, mais ce n’est pas de la peur.
C’est la sensation étrange et grisante de pouvoir réorienter sa vie.

 

Chapitre 4

Teko

Dans le quartier animé de Nyékonakpoé, à Lomé au Togo, les ruelles résonnent du brouhaha quotidien. Les appels des marchands ambulants se mêlent aux éclats de voix des enfants qui courent pieds nus sur la terre battue. Ici, chaque maison semble serrée contre l’autre, les murs en parpaings nus ou recouverts d’un crépi défraîchi. Le linge sèche sur des cordes tendues entre deux façades et l’odeur du maïs grillé flotte dans l’air.
Afi, penchée sur sa machine à coudre, plisse les yeux sous la lueur vacillante d’une ampoule suspendue au plafond. Son métier de couturière est à la fois sa passion et son seul moyen de subsistance depuis la mort de son mari, un ancien zémidjan – ces conducteurs de motos-taxis reconnaissables à leurs gilets jaunes qui sillonnent la ville à toute heure du jour et de la nuit. Il a perdu la vie dans un accident de la route, percuté par un camion dont les freins ont lâché sur la route de Bè-Klikamé. Depuis, Afi assure seule l’éducation de leur fils, Teko.
Ce prénom, elle et son mari l’ont choisi ensemble. Teko signifie espoir en kabyè, le dialecte de leur région d’origine au nord du pays. En le nommant ainsi, ils ont voulu sceller leur désir d’un avenir meilleur, d’une vie plus douce que la leur pour leur enfant. Malgré les difficultés, malgré la pauvreté, ils ont rêvé pour lui d’un chemin plus lumineux.
Un rire d’enfant résonne dans la cour commune. Teko joue avec d’autres garçons, tapant dans un ballon de fortune fabriqué avec des sacs plastiques noués les uns aux autres. Afi lève la tête, un sourire attendri sur les lèvres, mais son regard s’assombrit rapidement. Contrairement aux autres, Teko s’arrête souvent, les mains sur les genoux, haletant, le souffle court. Il lui faut un long moment avant de pouvoir reprendre le jeu. Afi sait bien qu’il essaye de faire comme si de rien n’était, mais elle n’est pas dupe.
Ce n’est pas la première fois qu’elle observe ce phénomène. Au début, elle s’est dit que c’était dû à la chaleur, ou simplement qu’il n’est pas aussi robuste que les autres. Mais maintenant, c’est évident : il respire mal, trop mal pour un enfant de son âge.
Elle soupire, ses doigts jouant nerveusement avec un morceau de tissu qu’elle doit assembler. Elle sait ce qu’elle doit faire. Amener Teko chez un cardiologue. Une voisine lui a parlé d’un spécialiste à la clinique Cœur sacré, mais la consultation est chère. Trop chère pour elle, qui doit déjà compter chaque franc CFA pour assurer les repas et le loyer.
Elle pose ses mains sur ses genoux et fixe un point invisible devant elle. Elle trouvera un moyen. Elle économisera. Peu importe le temps que cela prendra, elle ne laissera pas son fils souffrir sans rien faire.

 

Chapitre 5

Bénévolat

Dans sa quête pour redonner du sens à sa vie, Céleste réfléchit régulièrement à la façon de se rendre utile. Alors qu’elle a effectué plusieurs recherches infructueuses pour trouver une mission de bénévolat compatible avec son métier, c’est dans la salle d’équipage au cours d’un de ses vols que la solution vient à elle.
Au milieu des uniformes bleu marine et des valises cabine qui s’entassent près des fauteuils fatigués, Céleste sirote distraitement son café, bercée par le brouhaha des discussions d’équipage.
— Et donc, tu as accompagné un gamin toute seule ? demande un steward en croquant dans un biscuit.
— Oui, c’était incroyable, répond sa collègue en posant sa tasse avec enthousiasme. C’était un vol pour Paris. Un petit garçon béninois. Il allait se faire opérer du cœur. J’étais là pour lui, du début à la fin.
Céleste lève les yeux de son café.
— Attends, raconte. Comment tu as fait ?
La cheffe de cabine sourit, visiblement ravie d’avoir capté son attention.
— C’était une mission avec Aviation Sans Frontières. En tant que personnel navigant d’Air France, tu peux te porter volontaire pour accompagner des enfants malades en faisant bénéficier l’association de la gratuité partielle qui nous est accordée sur les billets.
— Ah oui ? Et comment tu as été sélectionnée ?
— Une fois que tu es enregistrée comme bénévole, tu peux être appelée par ASF pour aller chercher un enfant dans son pays et l’accompagner durant son vol vers la France.
— Ça doit être une sacrée expérience !
— Je te confirme ! Les enfants sont souvent hyper courageux, mais ils ont besoin de repères. Et c’est toi, leur repère. C’est à la fois utile et extrêmement gratifiant.
Céleste hoche la tête, pensive. La conversation continue autour d’elle, mais elle, elle reste bloquée sur cette idée. Aider. Accompagner. Se sentir utile.

(…)

 

★★★